Se lire au féminin

Ciao Bella – Serena Giuliano

Ciao Bella, Serena Giuliano

J’ai fait une belle découverte avec le premier roman de Serena Giuliano.

En cause, Anna, une jeune femme arrachée à l’Italie de son cœur à l’âge de douze ans, brutalement, cruellement, sans préavis. Dans la nuit. Et qui s’engage en thérapie afin de revisiter son enfance.

Le résumé :

Anna a peur – de la foule, du bruit, de l’autoroute, ou encore des pommes de terre qui ont germé… Pour affronter sa deuxième grossesse, elle décide d’aller voir une psy.

Au fil des séances, Anna livre avec beaucoup d’humour des morceaux de sa vie. L’occasion de replonger dans le pays de son enfance, l’Italie, auquel elle a été arrachée petite ainsi qu’à sa nonna chérie. C’est toute son histoire familiale qui se réécrit alors sous nos yeux.

À quel point l’enfance détermine-t-elle une vie d’adulte ? Peut-on pardonner l’impardonnable ? Comment dépasser ses peurs pour avancer vers un avenir meilleur ?

Attention, la lecture de Ciao Bella pourrait avoir des conséquences irréversibles : parler avec les mains, écouter avec le coeur, rire de tout (et surtout de soi), ou devenir accro aux pasta al dente.

Mon avis et ressenti :

Arrachée à sa maison, ses rues, son petit village qui domine la mer, ses bruits, ses odeurs, ses amis. Séparée aussi de sa nonna, sa grand-mère chérie qui lui a tellement appris. Le pilier de sa vie. Et celle qui lui manque tant.

Anna a construit sa vie d’adolescente, de jeune femme, d’épouse et de mère avec de nouveaux repères, certes, mais des blessures enfouies qui l’oppressent et semblent se raviver pour trouver enfin une voie de libération.

Elle subit ses peurs, qui se transforment parfois en panique. Ses crises d’angoisse peuvent être quotidiennes. Ce n’est plus une vie.

Alors les séances chez la psychologue Elisabeth vont peu à peu l’aider à mettre en lumière ainsi qu’en valeur ses ressources, les reconnaître dans un premier temps, pour y puiser et réaliser tout ce qu‘Anna ne mesure pas encore.

Parce que oui, elle est courageuse. Depuis toujours. Tout le montre.

Son témoignage est fort des souffrances liées à la séparation brutale, au déracinement, à l’incompréhension, à la colère.

Un enfant peut encaisser, tout; parce qu’il a une grande capacité à s’adapter. C’est normal, sa vulnérabilité le rend dépendant du regard des autres, de l’amour de ses parents, surtout. Il ne peut pas risquer d’être rejetée. Sans quoi, il risque de tout perdre. Mais cette adaptation a un prix; dans son for intérieur, la douleur laisse des traces vives qui le feront grandir en le privant de l’une des fondations essentielles de l’humain: la confiance en soi.

La deuxième grossesse d’Anna est le déclencheur de son besoin de libérer ses souffrances.

Et c’est avec beaucoup d’humour qu’elle dépose son fardeau.

Elle est naturelle, très attachante et accessible, parce que sa façon de rire des choses, et de rire d’elle la rend simplement humaine. J’ai trouvé facile de s’identifier à elle.

Ciao Bella… un au revoir qui résonne dans la tête d’Anna comme pour lui donner aussi la force de grandir… Et sa croissance est poignante.

J’ai lu ce roman comme un carnet intime, libérateur, rempli de la nostalgie du passé et de l’espoir en l’avenir, rendu possible par une confiance en soi retrouvée.

Une belle lecture, l’une de celles qui trace des sillons dans le cœur et l’esprit, empreints des émotions les plus simples et pourtant les plus difficiles à exprimer parfois.

Courrez vous procurer cette petite pépite, donc, si ce n’est déjà fait ! 

Quelques citations :

« Je n’ai jamais connu de périodes sans angoisse, jamais été complètement sereine. D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis sentie pleinement heureuse ni insouciante. Je n’ai jamais été une enfant. »

«  Oui, l’enfance joue un rôle primordial dans notre vie d’adulte. Elle est le socle de notre existence. Si celui-ci n’est pas stable, tout le reste risque de s’écrouler tôt ou tard. »

« Ma grand-mère, c’est une caméra de surveillance. C’est le FBI italien, la CIA du village. Depuis son poste d’observation, elle a récolté plus de soixante dix ans d’archives sur chaque habitant. »

« Ce n’est pas vous qui avez peur, mais l’enfant qui est en vous. Vous avez envie de protéger encore cette petite fille-là, mais elle est devenue une femme maintenant, et peut se défendre seule. »

« Je dois faire comme si je ne voyais rien. C’est ce qu’on m’a appris. »

« Je cherche dans ma tête une bonne raison. Une raison qui expliquerait pourquoi mon papa est un monstre. Je ne trouve pas. Je le hais. J’en ai peur. Je hais aussi ma mère de nous laisser dans cette galère, d’accepter, de ne pas le tuer. Pourquoi est-ce qu’elle ne le tue pas ? La maison serait en fin calme. J’écouterais enfin le silence. Pourquoi est-ce qu’elle ne le tue pas ? Quand je serai grande, je ne veux pas être ma mère. »

« J’aime écrire car cela ne fait pas de bruit. L’écriture permet de crier en silence, de pleurer sans larmes, de communiquer sans paroles. »

« La perspective de ne plus jamais revoir ma grand-mère est une douleur qui pourrait se mesurer sur l’échelle de Richter. Mon coeur est en mille morceaux et je suis dans les décombres. Je n’ai jamais vécu sans elle. Je ne sais pas et je ne veux pas vivre sans elle. Je vais mourir de chagrin. Je me sens si seule. »

« Je n’ai pas envie d’écrire un roman. Ils ne se rendent pas compte, eux, de combien ça ferait mal. Ils ne savent pas, eux, qu’écrire, que poser des mots, ça pèse lourd. Qu’écrire, c’est graver, c’est faire exister, c’est ne plus jamais pouvoir ignorer. »

À très vite.

Magali

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