J’ai tenu La Mélancolie du kangourou dans les mains l’an dernier, à quelques jours près, un jour où je furetais entre les rayons de notre médiathèque. Je me souviens avoir lu le résumé, la gorge serrée. Je l’ai reposé. Je n’étais pas prête.
La semaine dernière, même endroit, même titre, mais cette fois, je n’ai pas hésité. Je me sentais désormais prête à affronter cette mélancolie.
Le résumé de : La Mélancolie du kangourou
Alors qu’il s’apprête à vivre le plus beau moment de sa vie avec la naissance de sa fille, Antoine est confronté au plus terrible des drames : la mort de sa femme durant l’accouchement. Anéanti par la perte de celle qu’il aimait plus que tout, Antoine a du mal à créer du lien avec son bébé jusqu’à ce qu’il embauche Rose, une pétillante jeune femme à l’irrépressible joie de vivre, pour s’occuper du nourrisson.
Parviendra-t-elle à aider Antoine à se révéler comme père et à se reconstruire ?
Il n’est jamais trop tard pour (ré)apprendre à aimer.
Mon avis et ressenti
Ce livre est magnifique.
Ce livre a été une épreuve, page après page, comme je le pressentais.
Antoine se retrouve veuf à la seconde où il devient père. Son épouse, Raphaëlle, victime d’une embolie amniotique, n’a pu être sauvée.
Tout est allé si vite, sans qu’Antoine n’ai le temps de réaliser. Le choc du drame l’empêche instantanément de goûter à la présence de son bébé. Leur petite fille.
Dévasté, il ne sait même pas quel prénom lui donner, leur choix n’était pas arrêté.
Lou. C’est celui qui s’impose, Antoine sait que Raphaëlle l’aurait aimé.
Et puis, plus rien.
C’est le néant dans la tête, le corps et le coeur d’Antoine. Il doit dire Au revoir à son épouse et Bonjour à Lou, mais il se sent incapable d’affronter les deux situations.
Pire, il n’a aucune envie d’approcher sa fille. Après tout, elle lui a retiré son amour. Antoine lui en veut. Il se sent indifférent à ce petit être ayant volé la vie de sa mère.
Les jours, les semaines et les mois suivant le décès, Antoine est prisonnier d’une douleur qui le ronge et le consume, accentuée par l’épuisement des nuits entrecoupées par les pleurs et les besoins de Lou, malgré la présence de sa grand-mère restée après l’enterrement pour épauler son fils.
Certes, il entend ses reproches, mais il se sent tellement vide à l’endroit de sa fille.
Il est père, mais c’est un fardeau. Sa croix.
Sa seule issue : reprendre le travail. Là-bas, au moins, il se sentira utile, à sa place et, surtout, il oubliera tout. Il a simplement besoin d’une baby-sitter de confiance, jour et nuit en cas de besoin, pour le libérer de ses responsabilités.
C’est Rose qui retiendra son attention, contre l’avis de sa mère. Elle est trop jeune, pense-t-elle. Elle est dynamique, lui répond-il. D’autant qu’elle est d’accord pour s’occuper de Lou à temps complet, voire plus. C’est une aubaine aussi pour la jeune fille qui a besoin de travailler pour financer la formation dont elle rêve dans une prestigieuse école de danse à Londres, l’an prochain.
Le lien avec Lou est immédiat, un mélange de responsabilité, d’affinité, de conscience du manque cruel de sa mère. Et de son père. Elle s’attache immédiatement, peut-être trop. Elle ne remplacera jamais celle qu’elle a perdu, et pourtant, son amour pour le bébé est une évidence. Elle se demande bien sûr où trouver le courage de s’en séparer le moment venu. En attendant, elle prend peu à peu ses marques dans cette maison où tout vibre l’absence, le manque, le vide, la solitude et la tristesse. Elle est là pour Lou, ce bébé qui n’attend désormais qu’elle pour satisfaire ses besoins et c’est sa seule motivation.
Le quotidien évolue au rythme des vies de chacun, qui se croise plus qu’il ne s’apprivoise, du moins entre adultes. Antoine fuit, se noie dans le travail, libéré des contraintes de sa paternité piétinée.
C’est seulement le jour où il tremblera de peur de perdre Lou, penché sur son berceau d’hôpital, qu’il réalisera à son tour son attachement pour ce petit être, cette part de lui. Jusque-là, sa détresse avait barré l’accès à son coeur.
L’enthousiasme et les initiatives de Rose seront également son tremplin vers les prises de conscience. Aucun plan, aucune tentative de séduction, simplement se remettre à faire et profiter des choses simples de la vie. Et sourire.
La perte, le deuil, la naissance, la résilience, la vie, l'amour
Ce sont les principaux thèmes qui s’entrechoquent dans La Mélancolie du kangourou, au titre évocateur.
Et, au fil des pages et du travail du deuil, l’autorisation de vivre à nouveau émerge. Ce processus, inévitable, a été magnifiquement exploré par Laure Manel, sans fausse pudeur ni tabou. Les émotions sont tranchantes, elles secouent violemment et, pourtant, elles sont libératrices. On souffre avec chacun. On perd espoir le temps d’un jour plus sombre que d’habitude et on retrouve un peu de joie dans le partage et le lien. C’est lui qui répare.
C’est une fois qu’Antoine le réalise à nouveau qu’il se remet à sourire et sentir son coeur battre.
Quelques mots pour conclure
Je n’aurais pas eu le même recul à lire La mélancolie du kangourou il y a un an, c’est certain. Notre intuition est notre boussole, j’en suis persuadée depuis longtemps.
Quand un livre nous appelle, c’est la plupart du temps qu’il a un message à nous délivrer. À nous de décider si c’est le moment.
De mon côté, j’ai préféré attendre et j’ai pu apprécier cette belle lecture tout en laissant les émotions faire leur chemin et m’indiquer ce qu’avais moi aussi à regarder.
Je vous laisse bien sûr le plaisir de découvrir la suite.
L’histoire de cette famille est belle, dans toutes ses nuances et ses aspérités.
C’est une histoire sur la mort, certes, et en même temps sur une vie remplie de promesses.
Quelques citations
» Ce bébé, ils l’ont désiré. Surtout elle. À vrai dire, il aurait aimé que cela arrive un tout petit peu plus tard. Il pensait qu’il aurait quelques mois pour se faire à l’idée… et peut-être aussi pour rester encore un peu le seul objet d’amour de sa femme. »
» Antoine est veuf. Son coeur et son corps lui crient qu’il est veuf, pas qu’il est père. Il ne veut pas de sa paternité. Elle lui est indécente, étrangère. »
» Antoine n’a pas de courage, et même, il n’a pas envie d’y arriver. Plus rien n’a de sens. Il se sent aspiré par un gouffre où il pourrait aller s’enterrer. Il crève d’envie de se faire oublier de tous et de partir loi. Seul. »
» Rose est décontenancée. Son employeur n’a rien d’aimable. Elle n’est pas à l’aise, se sent comme une élève prise en faute qu’on réprimanderait. »
» Elle se dit qu’en plus de s’occuper de la petite, elle va devoir veiller sur le père et s’assurer qu’un jour il trouve le chemin du coeur de sa fille… Si c’est possible. La situation de Lou lui paraît tellement désespérante qu’elle ne fixe aucune limite à son employeur : oui, elle se rendra disponible autant que possible. »
» Le travail est un puissant anesthésiant. »…
» Peut-être que la présence de Lou le maintient malgré lui dans une certaine vie. Son absence fait retentir le silence, et il se surprend à souhaiter son retour. Malgré toutes les contraintes que cela implique. Au moins elles ont l’avantage de l’occuper. »
» Antoine a les yeux qui s’embuent de honte. Quel petit-fils négligent il a été ces dernières années… Il se demande qui et quoi d’autre il a négligé, presque sacrifié sur l’autel de sa carrière… ».
À très vite.
Et dites-moi ce que vous aurez ressenti.
Magali